Amiens , ville commerçante , fut une ville aux nombreux marchés : marché aux volailles, marché aux chevaux , marché aux légumes . Toutefois , le plus connu , le plus représentatif est sans conteste le fameux "marché sur l'eau " débouché traditionnel des hortillonnages .

Jusqu'en 1884 , on faisait la vente des "herbes" rue des Poirées (actuellement rue Fernel) , celle des herbacées sur la place des Huchers ; quant aux autres légumes , ils étaient commercialisés rue des Rinchevaux. Après cette date , c'est à l'ombre  de la cathédrale , sur le place Parmentier , que s'installa le marché .

Témoignage d'un Amiénois :

Le marché sur l'eau était le centre de la vieille ville , avec pour cadre le vieux pont Baraban, la Somme qui se divisent en d'innombrables canaux , la "queue de vache" où s'amarraient les barques d'hortillon , l'église St Leu au loin , la rue du Don avec ses passerelles qui permettent d'accéder au maisons , la rue Turpin , la rue su Hoquet , et en toile de fond , la silhouette de la cathédrale....Un cadre formidable pour un peintre !

Le marché avait lieu tous les mardis , jeudis , samedis . Les Hortillons , les camonniers arrivaient la veille au soir sur leur longue barque à cornets , chargées parfois de deux cent kilos de fruits et de légumes , et les amarraient au quai à de gros anneaux.

On pouvait  compter parfois jusqu'à cent bateaux à quai ....Des hommes de main, des clochards les déchargeaient pour quelques sous et disposaient la marchandise en longues lignes , les salades dans des "rondelles" d'osier , les carottes , les radis dans des "mandellettes" , les épinards dans des "cuves"  .C'était une véritable mer de légumes !

Des agents municipaux patrouillaient durant la nuit et ils suffisaient le plus souvent à dissuader les maraudeurs ; il n'y avait jamais de vols . Le lendemain matin , de bonne heure , les hortillons et leurs femmes arrivaient  et s'installaient devant leur tas ; les maraîchers du Petit-Saint-Jean , de Renancourt , de Pont de Metz se joignaient à eux avec des voitures chargées elles aussi de beaux légumes et de fruits ; leur spécialité était le melon à côtes "Cantalou" qu'ils faisaient pousser sous de grosses cloches de verre...ils étaient succulents .Il faut dire que la terre était bonne dans la vallée de la Selle. "R'bayez l'belle terre noére comme elle est belle , o n'in mingeroé" disait Martine le plus vieux jardinier du Petit-Saint-Jean.

Les revendeurs eux auusi , arrivaient avec leur baladeuse et s'installaient derrière sur le marché. On discutait ferme , on choisissait. C'était un monde bariolé.La plus célébre des revendeuses s'appelait Gertude ; elle était toujours la première sur le quai avec sa charette et son baudet. C'était une maligne.

A six heures ,un agent allait chercher la grosse cloche qui était déposée sous le comptoir d'un café ; il l'agitait et la vente commençait. Mais Gertrude , elle, avait déjà pris ses légumes , les plus beaux ; elle avait un stratagème : elle disait aux agents du quai :  "O z'avez veillé toute la nuit , ellez boère un tcho café à m'santé" .Elle leur donnait vingt sous et pendant qu'ils étaient partis boire , elle se servait. C'était illicite , vu que la vente n'était pas commencée , mais comme elle était vieille et que c'était une brave femme , on fermait les yeux...

On vendait de tout , des artichauts à feuilles ouvertes, des radis "permand" bien tendres , des choux-fleurs , des navets longs dits "marteaux" ; surtout des laitues et de longs poireaux de Mezières , les épinards tendres et verts de Viroflay dont les feuilles dépassaient en éventail des hauts paniers d'osier ; c'est une merveille à voir.

Les hortillons et les maraîchers vendaient aux revendeurs et aux commerçants ; ceux-là restaient parfois sur place pour revendre aux particuliers qui arrivaient plus tard sur le marché ;ou bien ils chargaient tout de suite leur carriole attelée d'un baudet ou leur voiture à bras , et ils partaient faire le porte à porte dans la ville.

Ca durait toute la matinée. Quel spectacle c'était !

Source : Amiens , Ed Bonnenton